• Le mensonge du miroir

    Ce texte est une scène d'un roman d'aventure que j'écris depuis quatre ans avec Naory, et elle m'a semblé importante. J'espère que ce texte aura de l'effet et pourra encourager une vision différente des choses !

    Le mensonge du miroir

    ***

    Aureus dévorait Tina des yeux, et il ne fallut pas longtemps à celle-ci avant qu’elle n’intercepte ce regard et ne se mette à rougir de plus bel. Remarquant l’éclat que prenaient ces joues, le jeune Rôdeur détourna son attention sur ses mains sans se départir d’un sourire timide.

    Ce geste dissimulait une pensée qui ne le quittait plus : sa fiancée était resplendissante, mais seulement parce qu’il l’observait avec un amour qu’il ne conditionnait pas à la beauté humaine. En réalité, Aureus voyait bien au-delà des apparences. Peut-être devait-il ce don à sa guilde, il n’en demeurait pas moins que cette qualité lui était toute particulière. Elle était même près d’être la plus grande de toutes ses qualités - et l’Artisan sait combien il en avait !  

    L’unanimité ne s’embarrassait pas des usages pour décrire le visage de Tina : elle était laide, et tout à fait repoussante. La jeune fille n’avait pas été béni par le ciel et sa naissance décida de lui offrir un visage en tout point opposé à la beauté d’une déesse. Il en était ainsi et, bien qu’elle ait souffert toute sa vie de ce malheur, elle trouva suffisant de l’accepter au plus vite plutôt que d’en chercher les raisons et les solutions. Mais sa résignation personnelle ne fit pas taire son entourage. Tina, frappée par le destin, subissait jour et nuit ce visage laid par la faute du miroir qu’était pour elle son entourage.

    Pourquoi fallut-il qu’elle ait des joues si creuses, un nez si retroussé et un menton si fuyant ? Ses lèvres sèches et charnues ne tentaient aucun homme, le plus fou soit-il. Son front bombé laissait naître tardivement une tignasse pâle comme la lune. Dans ce visage là, tout n’était que difformité et tristesse. Le rejet constant de son entourage à son sujet n’avait fait qu’accentuer cet état puisqu’avec le temps, Tina se trouva seule et abandonnée, goûtant alors à l’habitude des escapades nocturnes aux quelles seule la lune concurrençait la solitude.

    Mais dans cet isolement, Tina prit soin de son cœur et ses manières excellèrent peu à peu celles des plus hautes dames. Elle gagna en assurance et son caractère se forgea doux, et pur, sous les lueurs pâles des étoiles. Puis le destin amena Aureus à faire sa connaissance, et parce qu’il avait foi en ce qu’il ne voyait pas, il découvrit le trésor de Tina ; sa tendresse, sa sagesse et sa sincérité.

    Un jour qu’elle confrontait ses démons intérieurs dans le reflet livide d’un miroir élégant et riche en dorures, elle se remémora les paroles de son amant qui lui contait ce qu’il avait vu par son discernement : « tu ravis mon cœur avec la douceur de tes paroles et ton jugement honnête et mesuré est un trésor de bienveillance que je n’oublierai jamais ». Lorsqu’elle répéta dans un murmure ce compliment, Tina senti quelque chose se briser en elle.

    Dans l’éclat de ce brisement se mit à résonner le chant de son triomphe.

    Quel était donc cette lueur qu’elle vit briller un instant, alors qu’une larme roulait sur sa joue ? Comme jamais auparavant, elle aperçût dans le reflet du miroir une étincelle de beauté : la couleur de ses yeux qui lui avait toujours parut si terne se mit soudain à brûler, similaire à de l’or en fusion. Pareilles à un trésor, ses prunelles brillaient d’un souffle ardent ; celui qu’alimentait la simple présence d’Aureus dans sa vie.

    Dans ses yeux, son âme. Elle souleva le voile éphémère du précieux miroir, vola jusqu’au plus profond de son secret, et atteignit le fond de son reflet. Elle plongea dans l’or de ses yeux et y découvrit le cadeau de sa naissance, de son existence même. Le diamant parfait qu’était la raison d’être de sa vie et son droit d’être ici. Elle comprit peu à peu que si son regard égalait à cet instant celui des astres, c’est parce que son cœur qu’elle avait élevé dans le silence et le rejet du monde dépassait aujourd’hui celui d’une déesse. Soudain, elle sentit que les choses lui échappaient. Elle réalisa.

    Ce qui était beau pour elle ne l’était pas forcément pour les autres. Chérir son cœur lui permettrait de chérir les autres. Ainsi, c’était l’amour qui émanait d’elle qui rendait ce qu’elle voyait plus magnifique qu’un ciel étoilé, de la même façon qu’Aureus avait distingué sous les traits de son visage la valeur de son cœur.

    Elle se rappela avoir fait un pas en arrière afin de mieux jauger son allure dans cette glace qui lui avait paru tout à coup bien insignifiante.

    « Tina », disait son reflet. Quatre lettres qui flottaient autour d’elle en permanence, et qu’elle avait toujours reniées.

    « Qui suis-je ? », avait-elle demandé au miroir. « Terne. Inerte. Naïve. Amorphe. Tu es Tina », cracha la glace.

    Mais … « Et pourquoi n’en serait-il pas autrement ? » avait fait remarquer Aureus, un soir, alors qu’ils échangeaient sur leur passé respectif et leur souffrance d’adolescence. « Et si je regardais au fond de mes yeux, le miroir de mon âme ? » s’était-elle dit alors.

    « Tendre. Idyllique. Novatrice. Altruiste. Tu es Tina », souffla finalement son cœur.

    Elle s’était entendue prendre position face au monde et aux reflets faux de la réalité, tant et si bien que désormais, elle savait où était sa place.

    Ainsi, Aureus et Tina se trouvèrent en parfait opposition à leur tempérament, et dans un accord ultime, ils se jurèrent fidélité pour l'éternité.

     

     

     Neyu

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