• Maître Piano et la note ultime

    Maître Piano et la note ultime

    *** 

    Elle était là, frêle et forte à la fois, craignant de retrouver son piano après tant de mois d’absence mais si heureuse de pouvoir à nouveau jouer avec lui. Son cœur battait si fort qu’inconsciemment, il décida du tempo qui allait suivre. Dans un mouvement souple, ses mains s’élevèrent au-dessus du clavier avant de ne faire plus qu’un sur les touches. A toute allure, elle enchaîna les accords sur des tonalités amusantes, dignes d’une retrouvaille des plus étranges mais maintes fois espérée.

    Personne ne s’y attendait. Après une telle absence, le monde s’imaginait un retour timide devant le piano, quelques notes par ci, quelques notes par là. Il fallait réapprivoiser l’instrument, s’excuser, d’abord, d’avoir manqué à leur rencontre quotidienne, puis, peut-être, s’expliquer d’une pareille impolitesse. Et pourtant, non, rien de tout cela. La jeune fille avait décidé de bondir sur la musique de la même manière qu’elle aurait retrouvé sa meilleure amie au coin d’une rue… Dans un éclat de joie ultime, elle interpréta une mélodie majeure qui dissonait si bien avec son visage ému aux larmes. Car elle n’était pas triste, non ; l’élève pleurait d’un bonheur sans fin, inestimable à ses yeux, puisqu’elle retrouvait enfin son tendre piano. Un lien imperceptible les liait pour toujours : il avait désespérément besoin d’être joué par elle pour vivre, et la jeune fille avait inlassablement besoin de l’instrument pour survivre.

    Mais les choses se précipitaient pour Maître Piano. Il fallait tendre l’oreille pour percevoir, peut-être, au loin, bien loin, la voix de l’instrument sangloter durant une infime seconde, le temps d’un soupir inaudible tant les retrouvailles lui nouaient la gorge. L’émotion le renversait, et c’est avec maladresse qu’il offrait ses notes au monde. Il formula alors une prière fugace qui atteignit immédiatement les oreilles de l’Artiste. D’un murmure compatissant, celui-ci exauça ce noble vœu.

    La jeune fille pleurait et jouait quand soudain, autour de son Maître noir et blanc, deux enfants se mirent à courir l'un après l'autre en riant dans une ronde maîtrisée sur la rythmique du morceau, tout aussi heureux d’être là que ne l’étaient les deux amants musiciens. Les petits apportaient au tableau la note manquante, la touche précise d’une gamme inaccessible à l’art ; le rire. Car le rire de l’Homme était Son art à lui, unique Artiste du monde et de ses expressions. Il était le seul à savoir qu’en cet instant précis, le piano était tant bouleversé par le retour de son élève qu’il en perdait ses gammes et ses accords, incapable de jouer comme auparavant. L'annonce était belle : le piano, à défaut d’aider le monde à s’exprimer, avait aujourd’hui besoin de s’exprimer par quelqu’un. Mais comme la jeune fille s’occupait à déverser son émotion dans son morceau, L’Artiste, ayant entendu la prière de l’instrument, se pencha près des enfants pour leur murmurer sous un sourire discret : « petits, courrez, riez et dansez autour d’eux, car Maître Piano est trop ému pour poursuivre la cadence de son élève, il a besoin de votre mélodie pour exprimer l’émotion qu’il ressent et qu’il ne peut atteindre en cet instant ».

    L’enfant ne rit pas d’ignorance, il rit parce que quelque part, un vœu, une prière, un murmure lui dit que dans ce monde, il y a de quoi rire.

     

     

    Neyu

    « Le miracle de MathiasDeviner l'identité de la lune »
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