"C'est l'incertitude qui nous charme. Tout devient merveilleux dans la brume."

- Oscar Wilde -

***

Une silhouette s’avance lentement vers moi. Tout est flou, tout est vague. Je n’arrive pas à distinguer mon amie. Est-ce vraiment elle ? Je ne sais plus très bien. Il fait sombre, je ne sens rien ni n’entends rien. Un étrange mélange de crainte et de curiosité se fond dans les battements de mon cœur. Que dois-je faire ? Indécise, je reste paralysée. L’ombre s’avance peu à peu, et je réalise alors que je ne vois pas mon amie dans ces larges épaules et ce corps immense. Soudain, j’aimerais reculer, faire demi-tour et m’enfuir à toute allure, mais mes jambes ne m’obéissent plus et je reste plantée là, incapable d’analyser la situation correctement. Inconsciemment, ce mystérieux personnage qui approche m’appelle, et mon cœur me hurle de soulever le masque de brume qui pare cet individu.

Alors soudain, balayant la peur et l’incompréhension comme dans un souffle, mon âme est séduite. Un désir insensé s'empare de moi et j’ai brusquement besoin de savoir qui se trouve derrière l'épais brouillard de l’hiver. Je n’ai plus aucun contrôle sur mon corps et tout m’échappe soudain ; j'avance doucement, pleine d'interrogations. Tout s’envole et s’en va danser vers cette ombre solitaire qui avance toujours aussi lentement. Et alors que je marche moi aussi, déterminée à trancher la brume qui persiste à brouiller ma vue et voiler l’identité de ce personnage sans visage, je demande prudemment :

- Qui êtes-vous ?

Silence. Un vide assourdissant me répond. L’horreur me noue la gorge, car je discerne maintenant plus précisément la silhouette. Je remarque suffisamment bien son corps pour comprendre que cet homme gigantesque n’est pas mon amie. Il s’arrête et ne dis pas un mot.

Il me semble qu’au travers de cet épais nuage dans lequel nous nous trouvons, lui aussi essaie de comprendre qui je suis. Face à cette réaction familière, je me détends et réitère ma question. Immédiatement, comme s’il n’avait tout simplement pas entendu la première fois, une voix caverneuse répond :

- Je ne suis personne. Et vous ?

Je mets quelques secondes à avaler cette réponse idiote avant de répliquer sèchement :

- Soyez sérieux, montrez-vous donc !

- Pourquoi ? N’est-ce pas merveilleux, tout ce mystère ? Ce charme anonyme et mystique qu’offre l’irréel au réel.

Cette idée se trouvait dans chaque particule d’air autour de moi. L’atmosphère semblait être chargée de cette aura magique qui flottait dans l’instant présent.

- Ne trouvez-vous pas ? répéta-t-il à nouveau.

- Si, si bien sûr … je réponds, peu convaincue par cet air rêveur qu’il incarne.

L’inconnu étend les bras et lève son visage vers le ciel. En une seconde, il tourne sur lui-même et pousse un long soupir. Doucement, il confie :

- Un jour, un auteur que j’aime beaucoup a dit une phrase qui semble en tout point qualifier notre rencontre, vous savez ?

- La quelle est-ce ? je continue, trop curieuse pour m’arrêter là.

Silence. Ses bras retombent le long de son corps. Il semble m’observer. Longtemps. Même si nous ne nous voyions pas, je perçois son regard. Je sens à quelques mètres de moi son cœur battre au rythme de la phrase qu’il décide finalement à partager :

- « C’est l’incertitude qui nous charme. Tout devient merveilleux dans la brume. »

Neyu